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Tag - Branko Milanovic

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jeudi 20 mai 2021

Quelques remarques sur les inégalités mondiales de revenu

1. Qu’est-ce que les inégalités mondiales ?


Les inégalités mondiales sont les inégalités entre tous les citoyens du monde. Il s’agit de voir le monde comme une seule unité (alors que d’habitude nous considérons les pays pris individuellement). Les données utilisées pour calculer les inégalités mondiales viennent des enquêtes sur le revenu de ménages constituant des échantillons représentatifs de l’ensemble de la population qui sont de plus en plus corrigées (lorsque les données sont disponibles) de la sous-estimation des hauts revenus en utilisant les données fiscales. Il faut également ajuster pour tenir compte des différences entre les niveaux de prix des pays en exprimant tous les revenus en dollars internationaux (ou PPA) qui ont en principe le même pouvoir d’achat partout dans le monde. Le revenu est défini comme le revenu annuel par tête après impôt et redistribution (où le revenu total du ménage est divisé également entre ses membres).

2. Quelle est la précision de telles estimations ?


Les inégalités de revenu mondiales sont probablement sous-estimées, et ce pour deux raisons. D’une part, certains des pays les plus pauvres (dont beaucoup se situent en Afrique) ne mènent pas d’enquêtes régulières auprès des ménages et sont engagés dans des guerres internationales ou civiles, si bien qu'ils ne sont pas inclus dans les calculs. Cependant, les données disponibles couvrent plus de 90 % de la population mondiale et plus de 95 % du revenu mondial.

D’autre part, les personnes les plus riches tendent souvent à ne pas participer aux enquêtes ou à sous-estimer leur revenu fiscal de façon à minimiser les impôts qu'elles ont à payer. Donc, le sommet et le bas de la répartition des revenus sont sous-estimés. On considère que la sous-estimation des plus hauts revenus est légèrement croissante, mais cela n’affecte guère la tendance que suit à long terme le niveau des inégalités mondiales.

3. Comment évoluent à long terme les inégalités mondiales ?


L’évolution à long terme des inégalités mondiales (dans la mesure où nous pouvons bien estimer les choses au dix-neuvième siècle) peut être divisée en trois périodes.

La première période fut marquée par une hausse régulière des inégalités, des années 1820 (période pour laquelle nous disposons de premières estimations) jusqu’à 1914, et ensuite une hausse plus lente et irrégulière jusqu’aux années 1950. Leur accroissement s’explique par le "décollage" de la croissance économique et donc des revenus dans les pays d’Europe occidentale, suivis par l’Amérique du Nord et le Japon. Entre-temps, les revenus indiens et africains stagnaient et les revenus en Chine chutaient. Cela provoqua une divergence massive et poussa les inégalités mondiales à la hausse. En outre, les inégalités au sein de plusieurs pays (par exemple le Royaume-Uni, les Etats-Unis, l’Allemagne et le Japon) augmentèrent durant la Révolution industrielle.

Par conséquent, entre les guerres napoléoniennes et la Première Guerre mondiale, nous pouvons dire avec une certaine confiance que les inégalités mondiales ont été alimentées, d’une part, par les divergences entres les revenus moyens des différents pays et, d’autre part, par le creusement des inégalités infranationales. Ce dernier a reflété pour l’essentiel des changements dans la distribution fonctionnelle du revenu, c’est-à-dire dans la répartition du revenu entre la classe des propriétaires terriens, celle des capitalistes et celle des travailleurs. Les développements entre pays dominèrent ensuite et continuent de jouer un plus grand rôle dans l’évolution des inégalités mondiales que les développements internes aux pays.

La deuxième période va de 1945 à 1980. Les inégalités étaient alors à un niveau historiquement élevé, comme le monde était divisé entre trois mondes très distincts (par leurs niveaux de revenu). Les pays riches furent en effet les "cités" du monde et les grandes zones du Tiers-monde furent sa "campagne". A la fois l’Inde et la Chine maintinrent leur position relative dans la distribution des revenus, c’est-à-dire que leur revenu moyen par rapport à la moyenne mondiale resta constant.

La troisième période commença avec la croissance rapide de la Chine, qui fut suivie par le Vietnam, la Thaïlande, etc., puis ensuite l’Inde. Cela, pour la première fois depuis le début du dix-neuvième siècle, provoqua un changement en sens inverse et commença à pousser les inégalités mondiales à la baisse. La Chine fut le principal moteur derrière ces évolutions, mais autour de l’an 2000, l’Inde commença à jouer également un rôle important. Actuellement, les inégalités mondiales s’élèvent à environ 63 points de Gini, ce qui est quelques 7 points de Gini (en 10%) en moins que dans les années 1980. Le niveau des inégalités est, cependant, toujours extrêmement élevé : le monde dans son ensemble est environ aussi inégal que l’Afrique du Sud, qui est le pays le plus inégal au monde. En comparaison, le Gini des Etats-Unis (après impôts) est légèrement supérieur à 40 points de Gini et celui du Brésil supérieur à 50 points de Gini.

4. Quelques implications des inégalités mondiales


La Chine. Comme le revenu de la Chine (son PIB par tête) est désormais légèrement plus élevé que la moyenne mondiale, elle ne contribue plus à la réduction des inégalités mondiales. En outre, la croissance rapide de la Chine (relativement au reste du monde) va commencer à contribuer positivement aux inégalités mondiales, tout d’abord de façon modeste, et ensuite de plus en plus fortement. Donc, nous ne pourrons plus considérer la Chine comme un moteur de la réduction des inégalités mondiales de revenu.

La Chine elle-même est très inégale malgré le fait que les inégalités n’aient pas eu tendance à augmenter en son sein depuis environ 2010. Le niveau d’inégalités de la Chine dépasse celui des Etats-Unis et elle a l’un des écarts les plus larges entre urbains et ruraux au monde : le revenu moyen de la population urbaine en Chine est égal à celui de la Hongrie, tandis que le revenu moyen de ses zones rurales est égal à celui du Vietnam.

L’Inde et l’Afrique. Cela confère à l’Inde et à l’Afrique un rôle plus important. Les récents développements désastreux en Inde (avec peut-être deux années successives de croissance très négative) ainsi que le problème persistant de manque de convergence des économies africaines laissent la possibilité réelle que les inégalités mondiales puissent cesser de diminuer pour augmenter de nouveau.

C’est d’autant plus probable que l’Afrique est la seule région du monde pour laquelle on prévoit une forte croissance démographique. Un calcul au dos de l’enveloppe implique un taux de croissance de 7 % ou même de 8 % pour l’économie dans son ensemble pour que le revenu par tête en Afrique puisse croître au rythme de 5 % par an. En comparaison, durant les très "bonnes" années avant la crise financière mondiale, la croissance africaine (pondérée en fonction de la population) était de 3-3,5 % par tête et plus récemment, avant l’épidémie de Covid-19, elle était de 1,5 % par tête. En l’absence de convergence africaine suffisante, les flux migratoires risquent de s’accroître, en particulier vers l’Europe. Donc la crise migratoire en Europe doit être perçue comme une question séculaire et pas du tout temporaire.

Les inégalités mondiales dans une perspective historique. Les changements décrits ci-dessus amènent la distribution des revenus relatifs en Eurasie au même point où elle était vers 1500. A l’époque, les revenus des régions les plus riches de Chine étaient assez similaires aux revenus dans les régions les plus riches d’Europe (les cités-Etats d’Italie, les Pays-Bas). Avant cela, il est probable que la vallée du Yangzi Jiang et les zones côtières de Chine aient eu des revenus légèrement supérieurs à ceux d’Europe. (…) Les écarts de revenus absolus étaient faibles. Ce fait est important pour mieux saisir que la période allant approximativement de 1800 à 2000, avec de larges écarts de revenus entre, d’une part, l’Europe (et l’Amérique du Nord) et, d’autre part, la Chine et l’Inde, constitue une anomalie historique.

La redistribution des positions relatives. Comme les pays asiatiques améliorent leurs positions relatives, de plus en plus de citoyens asiatiques (pas seulement les Chinois et les Indiens, mais aussi les citoyens de Thaïlande, d’Indonésie, du Vietnam, etc.) vont se retrouver parmi le quintile supérieur de la distribution mondiale. C’est un développement d’une importance historique, dans la mesure où le sommet de la répartition mondiale des revenus était, ces deux derniers siècles, peuplés essentiellement par les habitants d’Europe de l’Ouest, d’Amérique du Nord et du Japon. Le développement actuel provoque la plus grande redistribution des positions relatives des individus dans la répartition du revenu depuis la Révolution industrielle.

Un tel développement ne peut être négligé. Même si les écarts entre riches, classe moyenne et pauvres dans les pays développés ne se creusaient pas, ces trois groupes infranationaux vont appartenir à différentes parties de la distribution du revenu mondial. Les distributions occidentales, reflétées dans la répartition du revenu mondial, peuvent de plus en plus ressembler aux distributions latino-américaines. Les écarts de revenu peuvent ne pas être aussi larges, mais les positions mondiales relatives des différentes classes domestiques peuvent être substantiellement différentes.

Le sort de la classe moyenne des pays riches. Les grands perdants de cette redistribution vont à nouveau être les classes moyennes (et populaires) des pays riches. Le "graphique de l’éléphant" le montrait déjà avec le manque de croissance pour les classes moyennes entre 1988 et 2008 (ou 2014) (…). Une personne (par exemple) en Italie dont la position relative dans la distribution mondiale chuta du 85ème au 70ème centile de la répartition mondiale ne va pas trop ressentir ce changement si sa position relativement aux plus hauts revenus dans la répartition nationale reste la même. Mais il prendra de plus en plus conscience que son accès à certains biens mondiaux (voyage, type de logement, voitures électriques et gadgets de haute technologie) devient plus difficile. A mesure que la mondialisation se poursuit, cet individu prendra de plus en plus conscience de cette perte de statut. Même les endroits les plus attractifs pourraient être de plus en plus achetés par de riches étrangers. Ce qui semble aujourd’hui être un phénomène marginal de "Venisation" est juste un reflet du changement dans la répartition relative des pouvoirs économiques entre pays et de la mondialisation.

L’Europe. Ces développements, notamment l’intensification des flux migratoires d’Afrique vers l’Europe et le déclin de l’Europe dans la distribution des revenus relativement à celle de l’Asie, vont influencer les populations européennes à divers niveaux. Cet effet pourrait ne pas être aussi dramatique pour l'Amérique du Nord, en raison de sa position géographiquement différente.

5. La signification des inégalités mondiales


Il n’est pas immédiatement évident de saisir la signification des inégalités mondiales, ni pourquoi il serait vertueux que les inégalités mondiales baissent. Nous pouvons trouver deux raisons : d’une part, une réduction des inégalités entre les pays est supposée réduire les flux de main-d’œuvre et, d’autre part, elle réduit les inégalités mondiales des chances entre les individus. Un niveau très élevé d’inégalités mondiales (comme celui observé actuellement) signifie que la distribution des chances de vie est très asymétrique en faveur des personnes nées dans les pays riches (après avoir pris en compte le niveau d’éducation et d’effort). Ce n’est pas différent d’avoir une forte inégalité d’opportunité dans un pays, sauf que cette dernière est politiquement considérée comme problématique et qu’il y a des instruments, notamment via la politique publique, qui sont supposés la corriger. Au niveau global, en l’absence d’un gouvernement mondial, il n’y a pas d’institution politique qui puisse s’attaquer aux inégalités des chances.

La nostalgie. Le fait que beaucoup de personnes aux Etats-Unis et dans une moindre mesure en Europe de l’Ouest semblent nostalgiques des années 1950 et 1960 fait sens du point de vue de la plus haute position qu’ils occupaient alors relativement aux populations d’Asie et d’Afrique. (…) Mais ce qui a souvent tendance à être oublié est que cette période de revenus relativement élevés en Occident était, par définition, une période de revenus relativement faibles dans le Tiers-monde et donc une période où les inégalités mondiales ont atteint leur plus haut niveau historique. Ces positions relatives ont peu de chances d’être reproduites dans un avenir proche, et heureusement : elles ne seraient guère désirables d’un point de vue mondial. »

Branko Milanovic, « Notes on global income inequality: A non-technical summary », in globalinequality (blog), 19 mai 2021. Traduit par Martin Anota



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« La pandémie et les inégalités mondiales »

mardi 20 avril 2021

Football : d’un sport populaire à un spectacle pour les seuls riches

« Je devrais avoir une certaine satisfaction. Tout le cinquième chapitre du Capitalisme sans rival expose la marchandisation croissante de tout, notamment du temps de loisirs et de notre vie quotidienne. En novembre dernier, dans un entretien accordé au magazine Forbes, j’avais dit qu’une ligue de football paneuropéenne était inévitable : les clubs sont gérés comme de pures machines à fric, il y a énormément d’argent à se faire et les meilleurs clubs vont insister pour être plus exclusifs et pour ne jouer qu’avec de fortes équipes. Je pensais aussi que c’était une question de temps avant que le football international ne meure. Les propriétaires de club ne veulent pas exposer les joueurs pour lesquels ils ont dépensé des millions d’euros à des efforts inutiles et de possibles blessures en jouant dans des compétitions qui importent peu et qui ne rapportent guère financièrement. Pourquoi devrions-nous nous attendre à ce que certains pans de nos vies ne restent guère marchandisées lorsque tout le reste l’est et que nous participons nous-mêmes fiévreusement à cette puissante marchandisation ? Nous y participons en mettant en location nos logements, nos voitures, en signant des contrats prénuptiaux et de non-divulgation (ce qui, dans ce dernier cas, nous amène à vendre notre droit à la libre expression, au bon prix).

Le football est-il au-dessus ? La réponse est non. Il est exactement ce que nous voulons qu’il soit : marchandisé à l’extrême. Il fait exactement ce que l’expansion incessante du capitalisme hyper-commercialisé requiert. Donc, devrions-nous cesser de nous plaindre ?

Peut-être. Mais même si nous cessions de le faire, nous ne pourrions pas ne pas prendre conscience que ce que les douze clubs se proposent de faire est un saut quantique dans une direction regrettable (et dans une certaine mesure honteuse). Alors que la commercialisation croissante du football se poursuivait, le football avait essayé, du moins formellement, de préserver une apparence d’ouverture. Même quand la Ligue des Champions avait changé son format en cessant d’être ouverte aux meilleurs clubs de tous les pays européens placés sur un pied d’égalité pour allouer davantage de points aux meilleures divisions, elle n’avait pas entièrement fermé la porte. Les petits clubs dans les grandes divisions pouvaient toujours espérer parvenir à atteindre la Ligue des Champions en réalisant de bonnes performances dans la ligue nationale ; les gros clubs dans les petites divisions pouvaient toujours espérer parvenir à atteindre la Ligue des Champions après plusieurs étapes de classification. La porte était fermée à la compétition égale entre grands et petits clubs, mais pas encore totalement.

A présent, elle est close. Nous devrions avoir 12 ou 16 ou 18 équipes se battre à jamais entre elles, sans craindre la relégation et sans incitation, ou plutôt possibilité, pour une autre équipe de rejoindre cet auguste groupe. Il est inutile se souligner à quel point c’est éloigné de ce que le football a signifié le siècle passé, plus exactement de sa singulière marchandisation comme sport international. Il a souvent été le véhicule à des aspirations politiques, sociales, économiques ou nationales ; il fut un lieu de rencontre quand tous les autres espaces étaient clos ; il était l’endroit où vous pouviez chanter des slogans contre le gouvernement en place lorsqu’ailleurs vous étiez chassé par la police ou jeté en prison. Ce fut un lieu de mobilité sociale si vous étiez un joueur ou de mixité sociale si vous étiez dans les tribunes. Ce fut un endroit où les gens se tenaient deux heures sous la pluie ou la neige pour voir les joueurs qu’ils adulaient. Il créait non seulement de grands footballeurs, mais aussi des personnes inestimables avec une singularité, des opinions et des croyances. Maradona n’est pas grand seulement parce qu’il a mis de très impressionnants buts (notamment avec sa main), mais aussi parce qu’il refusait de se taire, de jouer le jeu de l’extrême commercialisation quand les joueurs étaient payés pour courir et ne jamais donner leur opinion, quand ils étaient des modèles semblables à des automates.

Le début de la Super Ligue met un terme formel à tout cela. Ile formalise en effet l’étape à laquelle le football est malheureusement arrivé. Ce n’est pas un coup de tonnerre dans un ciel serein. C’était une tempête bien prévue. Nous devrions avoir, comme au tennis, une ligue de robots, contrôlés par leurs maîtres kleptocratiques internationaux. Ils pourraient jouer seulement dans quelques pays présélectionnés (quatre dans le cas du tennis, peut-être trois ou quatre au football), dans des stades présélectionnés, devant des spectateurs sélectionnés, se voir permis de dire seulement les platitudes les plus triviales. Ce sera la fin du football tel qu’il a essayé d’être pendant plus d’un siècle. Ce sera une sorte de jeu où que nous pourrions présenter à nos usagers, avec des joueurs qui semblent juste être des créatures vivantes. »

Branko Milanovic, « From a people’s game to a game fit for the rich only », in globalinequality (blog), 19 avril 2021. Traduit par Martin Anota

samedi 19 septembre 2020

Inégalités et Covid-19 aux Etats-Unis

« Les inégalités sont par définition multiformes. Non seulement il y a une différence entre les inégalités de revenu et les inégalités de richesse, mais les inégalités peuvent aussi être des inégalités de genre, de race, d’âge, de territoire au sein d’un pays, et ainsi de suite. Quand on se promène dans une ville comme New York, les inégalités nous apparaissent clairement lorsque nous passons d’un quartier à l’autre.

Donc, il n’est pas surprenant que nous puissions voir une relation entre les inégalités (dans leurs diverses incarnations) et les effets de la pandémie. Cela apparaît très clairement, je pense, dans le cas des Etats-Unis, mais aussi probablement dans d’autres pays dévastés comme l’Afrique du Sud, le Pérou, le Brésil et l’Inde.

Les inégalités de santé aux Etats-Unis sont bien connues. Même après l’Obamacare, presque 30 millions d’Américains n’ont pas d’assurance-santé. Beaucoup dépendent de leur emploi pour en avoir une. Quand ils perdent leur emploi, comme ce fut le cas durant la pandémie, ils perdent aussi leur assurance-santé. Les inégalités de santé ont contribué aux décès même si beaucoup d’hôpitaux ont traité les patients sans s’inquiéter à l’idée qu’ils aient ou non une assurance-santé, présentant ainsi un remarquable sens d’esprit civique dont les politiciens semblaient par contre être dépourvus.

Les inégalités d’éducation aux Etats-Unis sont rarement évoquées dans les débats à propos du coronavirus. Mais la faible qualité de l’enseignement primaire et secondaire combinée à grande latitude pour faire l’école à la maison a contribué à un rejet généralisé de la science et des mesures prophylactiques adoptées pour freiner la propagation de l’épidémie. Le fait que les Etats-Unis présentent un fort pourcentage de personnes adhérant aux croyances les plus extravagantes (des reptiliens à la Terre plate), relativement aux pays aux niveaux de vie similaires, n’est pas un accident. Il révèle son aspect nocif durant la crise, lorsque les gens refusent de croire la science lorsqu’elle leur dit ce qui est mauvais pour eux, pour leur famille et pour leurs amis.

Un système fragmenté de prise de décision politique semblait à première vue très utile, face à un gouvernement fédéral ouvertement obstructionniste. Mais cela s’est révélé être illusoire : l’incapacité des plus hautes unités territoriales (comme les Etats) à mettre en application les règles pour contenir la pandémie dans les plus petites juridictions (les comtés) entraîna un chaos administratif. En outre, cela alimenta l’expansion dans la pandémie dans la mesure où le traitement inégal par les régions dans un contexte de libre circulation des personnes diffusa le virus à travers le territoire. Les régions les moins restrictives déterminaient la propagation. Il faisait peu sens d’être responsable dans de telles circonstances, dans la mesure où cela ne faisait que nuire aux entreprises et ne contenait pas la contagion. Donc il y eut une incitation à une irresponsabilité généralisée.

Les inégalités de pouvoir politique deviennent également manifestes. Même quand les administrations au niveau fédéral ou au niveau de chaque Etat fédéré étaient déterminées à imposer des mesures très strictes, elles furent soumises aux pressions acharnées des entreprises. Peu de politiciens, conscients de l’importance du soutien des entreprises pour leur élection, se sont révélés capables de résister à ces pressions. Cela explique pourquoi la Californie s’est retrouvée en pleine débâcle malgré ses succès initiaux.

Les inégalités face à la mort, qui se manifestent notamment par les taux de décès très élevés parmi les noirs et latinos, ont probablement émoussé la réponse politique. Aucune de ces deux communautés n’est politiquement puissante. Parmi les latinos en Californie, beaucoup pouvaient être des immigrés en situation irrégulière, si bien que leur influence politique était encore moindre. Leur mort n’importait vraiment pas.

Au terme de tous ces processus, un pays démocratique semblait être, et se révéla effectivement être, bien plus indifférent aux morts qu’un régime autoritaire comme celui de la Chine. Les Etats-Unis s’inquiètent davantage des entreprises que des morts, mais ils ont fini par connaître une puissante contraction de l’activité économique et atteindre le nombre de morts le plus élevé à travers le monde (en ce mois de septembre). »

Branko Milanovic, « Inequalities and Covid-19 », in globalinequality (blog), 15 septembre 2020. Traduit par Martin Anota



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« Covid-19 : l’épidémie est la plus meurtrière là où les inégalités sont les plus fortes »

« Covid-19 : la pandémie ne manquera pas de creuser les inégalités »

dimanche 29 mars 2020

L'économie mondiale après le coronavirus

« Que pouvons-nous dire à propos de l’impact de la pandémie sur la répartition mondiale du revenu ? Il est difficile de dire quelque chose de précis parce que nous ne savons pas combien de temps durera la pandémie, combien de pays en seront affectés, combien de personnes vont mourir et si la fabrique sociale des sociétés tiendra. Nous sommes dans le noir absolu. L’essentiel de ce que nous disons aujourd’hui pourrait en définitive se révéler inexact demain. Si quelqu’un a raison, il se peut que ce ne soit pas parce qu’il est intelligent, mais parce qu’il est chanceux. Mais dans une crise comme celle-ci, la chance compte beaucoup.

Dans quelle mesure la crise est-elle susceptible de réduire le revenu mondial ? Le graphique ci-dessous montre les taux de croissance mondiaux réels par tête de 1952 à 2018. La ligne au trait épais donne la mesure conventionnelle (ploutocratique) : elle montre si le PIB réel par tête moyen du Monde a augmenté ou diminué. (Tous les calculs sont en dollars PPA.) Le PIB mondial par tête a baissé en quatre occasions : en 1954, en 1982, en 1991 et plus récemment en 2009 dans le sillage de la crise financière mondiale. Chacun de ces quatre déclins a trouvé son origine aux Etats-Unis. Ce n’est pas surprenant : l'économie américaine constituait jusqu’à très récemment la plus grande économie au monde, si bien que lorsque la croissance américaine ralentissait, la croissance mondiale en était affectée.

GRAPHIQUE Taux de croissance du revenu par tête mondial (en %)

Branko_Milanovic__croissance_du_PIB_reel_par_tete_mondial_ploutocratique_democratique.png

Une mesure différente de la croissance mondiale est le taux de croissance réel démocratique ou du peuple (la ligne au trait fin sur le graphique). Il répond à la question suivante : en supposant que la répartition du revenu dans chaque pays reste la même, quelle était la croissance moyenne qu’a connu la population dans le monde ? Pour le dire plus simplement : si les PIB par tête de l’Inde, de la Chine et d’autres pays très peuplés augmentent rapidement, bien plus de personnes se sentiront mieux que si certains pays riches, mais petits, voient leur PIB par tête augmenter. Ou, pour le dire autrement, pensez aux années soixante, lorsque le PIB total de (par exemple) le Benelux était similaire au PIB de la Chine. Selon un calcul ploutocratique, l’accroissement des deux rapporterait la même chose. Selon un calcul démocratique, la hausse en Chine compterait bien davantage parce que plus de personnes verraient leur situation s’améliorer. Cette seconde mesure pondère donc les taux de croissance des pays avec leur population. Ici, nous pouvons noter que le monde n’a jamais connu de taux de croissance négatif, excepté en 1961, quand le désastre du (si mal nommé) Grand Bond en Avant a réduit le revenu par tête des Chinois de 26 % (...).

Que pouvons-nous dire à propos de l’évolution probable des deux mesures en 2020 ? Le FMI, qui calcule seulement la première mesure, a récemment estimé que le PIB mondial diminuerait au moins dans les mêmes proportions qu’au cours de la crise financière mondiale. La seconde mesure a peu de chances d’être négative dans la mesure où la Chine s’en remet et où, comme nous l’avons vu, c’est largement ce pays très peuplé qui détermine ce qui se passe pour cette mesure. Pourtant, nous ne savons pas comment l’Inde sera affectée par la crise. Si son taux de croissance devient négatif, cela peut (combiné avec des taux de croissance certainement négatifs dans l’essentiel de l’Europe et de l’Amérique du Nord) produire la deuxième récession pour le peuple depuis les années cinquante.

Donc, les effets négatifs de la crise sur la croissance seront très puissants, mais celle-ci ne va pas affecter tout le monde de la même façon. Si le déclin économique est le plus sévère, comme il semble aujourd’hui que ce sera le cas, aux Etats-Unis et en Europe, le fossé entre les grands pays d’Asie et le monde riche se réduira. C’est la principale force qui a entraîné la réduction des inégalités mondiales depuis approximativement 1990. Donc nous pouvons nous attendre, comme ce fut le cas après 2008-2009, à une accélération du déclin des inégalités mondiales. Comme après 2008-2009, la réduction des inégalités mondiales sera atteinte non à travers les forces "bénignes" de la croissance positive dans les pays riches et les économies émergentes d’Asie, mais via les forces "malines" de croissance négative dans les pays riches.

Cela aurait les deux conséquences suivantes. Tout d’abord, géopolitiquement, le centre de gravité de l’activité économique va continuer de se déplacer vers l’Asie. (…) Si l’Asie continue d’être la région la plus dynamique au monde, tout le monde sera naturellement poussé dans cette direction. Deuxièmement, le déclin des revenus réels des populations occidentales va se produire exactement à l’instant où les économies occidentales sortaient d’une période d’austérité et de faible croissance et où l’on pouvait s’attendre à ce que le manque de croissance pour les classes moyennes qui caractérisait ces pays depuis la crise financière soit sur le point de s’arrêter.

En des termes purement comptables, nous sommes donc susceptibles de voir se dérouler dans une certaine mesure une répétition de la crise financière mondiale : la détérioration de la position relative de l’Occident sur l’échelle des revenus, un accroissement des inégalités au sein des pays riches (comme ce sont les travailleurs à faible salaire et les plus vulnérables qui en seront les premiers touchés) et la stagnation des revenus des classes moyennes. Le choc de la crise du coronavirus peut donc constituer un second choc dramatique pour les pays riches en une quinzaine d’années.

Nous pouvons nous attendre, dans certains domaines, à un recul de la mondialisation. C’est le plus évident à très court terme (un à deux ans), et même avec le scénario le plus optimiste sur la gestion de la pandémie, dans le cas de la circulation des personnes et possiblement des biens, qui sera bien plus contrôlée qu’avant la crise. Beaucoup des obstacles imposés à la libre circulation des gens et des biens pourraient venir de la peur rationnelle d’une récurrence de la pandémie. Mais certains des obstacles vont dans l’intérêt de certaines entreprises. Donc le retrait des restrictions sera difficile et coûteux. Nous n’avons pas enlevé les mesures de sécurité lourdes et coûteuses dans les aéroports malgré l’absence d’attaques terroristes pendant plusieurs années. Il y a peu de chances que nous enlevions rapidement les obstacles que nous mettons aujourd’hui en place. (...)

Pourtant, nous ne devons pas surestimer ces restrictions au commerce et à la circulation du travail et du capital. Quand notre intérêt à court terme est en jeu, nous sommes très prompts à oublier les leçons de l’Histoire : donc si plusieurs années se passent sans autre nouvelle perturbation majeure, je pense que nous reviendrons aux formes de mondialisation que nous avons connues avant la crise du coronavirus.

Ce que nous risquons de ne pas retrouver, c’est la répartition relative des pouvoirs économiques des différents pays et l’attraction politique de la gestion libérale des sociétés. Les crises brutales comme celle que nous vivons tendent à encourager la centralisation des pouvoirs parce que celle-ci constitue souvent la seule façon par laquelle les sociétés peuvent survivre. Il devient alors difficile de priver de pouvoir ceux qui en ont accumulé durant la crise et qui peuvent en outre déclarer en toute crédibilité que c’est grâce à leur capacité ou à leur sagesse que le pire a été évité. Donc, la politique va rester turbulente. »

Branko Milanovic, « The world after corona », in globalinequality (blog), 28 mars 2020. Traduit par Martin Anota



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« Quelles sont les répercussions à long terme des pandémies ? »

« Quel serait l’impact d’un ralentissement de la croissance chinoise sur le reste du monde ? »

« Que se passe-t-il lors des récessions mondiales ? »

mardi 18 février 2020

Qu’est-ce que la richesse ?

Cela semble évident. Commençons avec les définitions qu’utilisent les économistes qui travaillent sur les inégalités. C’est la somme totale de tous les actifs que vous possédez (logement, voiture, fournitures, tableaux, argent à la banque, actions, obligations, etc.), plus ce qui est qualifié de "valeur de rachat" (surrender value) de l’assurance-vie et de projets similaires moins le montant de vos dettes. En d’autres mots, c’est le montant de monnaie que vous obtiendriez si vous aviez à liquider aujourd’hui toutes vos possessions et deviez rembourser toutes vos dettes. (Le montant qui en résulte peut très bien être négatif.) Certains économistes utilisent une définition plus compliquée en considérant que nous devrions aussi ajouter la valeur actualisée des flux futurs (certains ?) de revenu. Cela nous amène au problème que j’ai expliqué ici. Mais qu’importe, j’aimerais adopter dans ce billet une vision historique de la richesse.

Je le faisais aussi dans mon livre The Haves and Have-Nots quand je me demandais qui pouvait être la personne la plus riche de l’Histoire. Si vous voulez comparer les gens de différentes époques, vous ne pouvez simplement essayer de calculer leur richesse totale. C’est impossible en raison de qui est connu sous le nom du "problème des indices" (index number problem) : il n’est pas possible de comparer des paniers de biens et services qui sont largement dissemblables. Si je peux écouter un million de chansons et lire toute la nuit en utilisant une très bonne lumière et si je donne une grande valeur à ces activités, je peux être considéré comme plus riche que n’importe quel roi qui vivait il y a mille ans. Tocqueville le notait aussi quand il écrivait que les anciens rois vivaient dans le luxe, mais pas dans le confort.

C’est pourquoi nous devons utiliser la définition de la richesse proposée par Adam Smith : une personne "doit être riche ou pauvre en fonction de la quantité de travail qu’elle peut commander". Cela signifie que le montant de richesse d’une personne doit être estimé dans un contexte historique : combien de milliers d’heures de travail peut-elle commander si elle utilise toute sa richesse ? Cette mesure est cependant plus facile à utiliser dans le passé qu’aujourd’hui. A l’époque de l’Empire romain par exemple, lorsque les pays avaient approximativement le même niveau de revenu, prendre le plus riche des Romains et le plus riche des Chinois et comparer leurs richesses respectives avec leur revenu de subsistance (par exemple le salaire habituel de l’époque) fait sens parce que le "salaire habituel" était le même à Rome et en Chine. Mais si l’on prend Jeff Bezos ou Bill Gates, avec quels salaires devrait-on comparer leur richesse ? Avec les salaires des travailleurs américains ou avec un certain taux de salaire mondial ? Si l’on prend la première option, ne devrait-on pas prendre le salaire moyen au Mexique pour mesurer la richesse de Carlos Slim et celui en vigueur en Russie pour la richesse des oligarques russes ? C’est ce que j’ai fait dans The Have and Have-Nots et voici les résultats. Ils concernent l’année 2010-2011, mais ils peuvent être facilement actualisés. On peut voir que Slim et Khodorkovski (le super-oligarque russe avant que Poutine ne le mette en prison) étaient probablement les personnes les plus riches dans l’Histoire, si leur richesse est mesurée en termes de leurs salaires domestiques. Et selon la même méthode, Rockefeller en 1937 était plus riche que Gates en 2005.

Le revenu de l'homme le plus riche exprimé en nombre de revenus moyens à l'époque et dans le pays où il vivait

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Quand nous faisons ce genre de calculs, nous regardons implicitement le pouvoir domestique potentiel des milliardaires : leur capacité à embaucher des milliers de personnes. Mais notez qu’ici j’ai dépassé un peu l’objectif. Je suis réellement en train de mesurer la richesse en termes de pouvoir potentiel. Maintenant, ce pouvoir ne requiert pas toujours une richesse financière actuelle. Il peut venir d’un simple pouvoir politique. Staline, par exemple, pouvait faire mobiliser bien plus de main-d’œuvre aujourd’hui par ses décisions que Khodorkovski ou Slim. C’est également le cas pour plusieurs autres dictateurs dans l’Histoire.

Ce couplage du montant d’argent et du pouvoir de donner des ordres aux gens amène les gens à croire que les dictateurs ont du être extraordinairement riches. Cette vision se fonde implicitement sur les valeurs de nos sociétés contemporaines qui sont très marchandisées et où la détention d’une richesse s’apparente à la détention de pouvoir. Avec des gens comme Trump, Berlusconi, Bloomberg, etc., il devient même "naturel" de voir la richesse et le pouvoir comme une unique et même chose.

On pense aussi que la richesse peut aussi être transmise à nos descendants. Après tout, plusieurs personnes justifient l’accumulation d’extraordinaires montants par l’inquiétude qu’ils nourrissent pour leur famille ou peut-être pour certaines causes philanthropiques. Mais que se passe-t-il quand la richesse privée actuelle est faible, alors même que la capacité à contrôler un énorme montant de ressources est importante ? Ce fut le cas, d’une façon extrême, avec Staline, mais aussi avec beaucoup de dirigeants communistes. Celui qui, parmi eux, était le dirigeant suprême dans son propre pays avait un large pouvoir pour mobiliser des ressources. Ils utilisaient aussi pour eux-mêmes plusieurs ressources ; non (dans le cas de Staline) d’une façon tsariste ostentatoire, mais de façon à affirmer sa puissance et celle de l’Etat (comme le montrait de façon très convaincante Dining with Stalin de Vladimir Nevezhin dont j’ai fait la recension ici). Les ressources étaient aussi utilisées pour satisfaire les exigences de sécurité incroyablement fortes de façon à ce que personne ne puisse suivre les mouvements du dirigeant suprême. (C’est la même raison qui amène les Présidents américains à toujours utiliser deux ou trois hélicoptères et non un seul.) Staline avait en conséquence accès à approximativement vingt résidents dans différentes régions proches de Moscou et sur la côte de la Mer noire. (Certaines de ces résidences étaient destinée à son usage propre, d’autres étaient partagées avec le reste du corps dirigeant). C’était très similaire à la situation de Mao. Tito avait au moins sept résidences dans différentes régions du pays.

Mais ce qu’aucun des dictateurs n’avait était la capacité de transférer une telle "richesse" à ses descendants. Plusieurs d’entre eux ne s’inquiétaient pas beaucoup de leur famille ; c’était certainement le cas de Staline et de Tito. Mao s’en inquiétaient peut-être un peu plus [...) ; Chiang Ching (Jiang Qing), sa veuve, bien moins et mourut en prison. Donc, si nous faisons un tableau simple (ci-dessous) de ce en quoi consiste la richesse, nous notons que dans ces cas elle ne réalise pas toutes les fonctions que nous lui assignons normalement. Cela s’explique par le fait que nous donnons à la richesse les caractéristiques de nos propres sociétés marchandisées. Dans différentes sociétés, même si elles sont relativement proches temporellement et technologiquement des nôtres (comme l’Union soviétique de Staline ou la Chine de Mao) la fonction de la richesse était différente. Le pouvoir était la véritable richesse, non pas les villas qui était utilisées d’office et que vous ne pouviez pas transmettre à vos descendants.

Les fonctions de la richesse dans différentes sociétés

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Nous constatons donc que la comparaison de la richesse au cours de différentes époques fait face à d’importantes difficultés, voire est rendue impossible, non pas parce que nous ne pouvons donner des valeurs à des choses qui n’existaient pas par le passé et existent à présent, mais parce que nous rencontrons des difficultés à comparer la richesse dans des sociétés différentes avec des aspects structurellement différents. Nous devons prendre conscience qu’il est possible de comparer la richesse des personnes sur la liste de Forbes aussi longtemps qu’elles partagent des environnements sociaux similaires : la même capacité à protéger leur richesse, à l’utiliser pour diriger des personnes, à la léguer. Dès lors que ces conditions sous-jacentes divergent, la comparaison cesse d’avoir un sens. »

Branko Milanovic, « What is wealth? », in globalinequality (blog), 10 février 2020. Traduit par Martin Anota

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